mai 1998
Ce document propose une note conjoncturelle sur l'importance économique des produits dérivés pour les télévisions françaises, présentée dans le cadre d'un séminaire universitaire : Stratégies des entreprises dans les secteurs cinématographiques et audiovisuels, Ircav - Université Paris III
La notion de merchandising ou de produits dérivés est une notion récente. Le terme merchandising lui-même est à distinguer de sa première acception, au sens de technique de vente employée en grande distribution (ou 'marchandisage', 1974). Le terme 'produit dérivé' est également employé au sens de produit financier, ce qui ne sera pas le cas ici.
Le marché des droits dérivés
Il est coutume de faire remonter le premier produit dérivé d'un programme audiovisuel à une bouillotte "Blanche-neige", proposée par Walt Disney il y a 50 ans. En France, la série Thierry La Fronde, avec ses albums et ses célèbres figurines, marque l'émergence de cette activité. Son envol sera donné au niveau mondial par la trilogie Stars Wars (au point d'être mis en abyme dans une parodie: la Folle histoire de l'espace): l'emploi du terme merchandising au sens de cession de licence et de droits dérivés semble apparaître à cette occasion (la vente des produits liés à la trilogie aurait rapporté 2,5 MM $ ).
Il faut cependant souligner que le marché de la cession de licences n'est pas spécifique aux médias: toutes les marques peuvent ainsi associer leur image à des produits qui ne relèvent pas de leur activité d'origine pour en tirer un bénéfice commercial.
Le marché international des droits dérivés est un secteur structuré: pour l'audiovisuel, on trouve des marchés spécifiques, tel le MICEL (marché international pour la création et les licences) dans le cadre du MIP TELEVISION. Parmi les principaux acteurs structurant ce secteur, il faut signaler le rôle des agences spécialisées, et en France, le SNDD (syndicat national des droits dérivés).
Ce secteur connaît néanmoins des problèmes: le principal risque est la saturation par inflation de l'offre (la multiplication des chaînes et des séries), ce qui entraîne un recentrage des investissements vers les personnages les plus connus à la notoriété garantie (personnages Disney par exemple), avec alors un risque de banalisation. Les secteurs qui exploitent les droits dérivés, tels l'édition ou le jouet, doivent également affronter des crises qui leurs sont propres.
Evolution du marché
La commercialisation des films et des produits audiovisuels intègre de plus en plus la vente conjointe des droits dérivés, la distribution des produits dérivés, et le contrôle de banques d'images, au moment de la cession des catalogues: il en est ainsi de l'accord Universal / AB en septembre 1997 ou de l'accord Fox / United Communication
La question des droits dérivés recoupe donc très précisément la notion de stratégie multimédia par rapport à la production, à la diffusion et à la distribution de produits relevant d'un même concept, et par rapport aux stratégies de diversification et aux mouvements de concentration qui concernent l'ensemble des entreprises audiovisuelles.
Poids économique du secteur:
Le CA de l'activité de cession de licences s'élèverait à 110 MM $ en 1996 selon Daniel Simon (Licencing group, déclaration au French TV Showcase)
La France se situerait ainsi au 3e rang en Europe, pour un CA de 22 MM F ($ 4,4 MM)
Le CA de Disney en France, calculé également sur le prix de vente des produits sous licence, serait de 1,5 MM F (au 4e rang dans le monde: CA aux USA: $ 52 MM en 1986)
Merchanding et télévision en France:
- France Télévision: Les autres ressources ne représentent que 50 M F (1% des ressources - la diversification ne représente que 1,2% du budget); pour exemple, les 4 titres de cassettes vidéo les plus vendus représentent un volume de vente de 15 M F
- TF1: Les activités de diversification représentent une ressource considérable: 2261 MF en 1996 (+26%), 2400 en 1997, soit ¼ du CA (+ 24,5% au 3e trimestre 97). Ces activités comprennent les chaînes thématiques et le télé-achat. L'apport du pôle Edition/Distribution est de 1 MM F, dont 350 M F pour le télé-achat
De la présentation d'autres produits à la diffusion de ses propres produits
La télévision diffuse des programmes susceptibles de donner lieu à des lignes de produits dérivés. L'intégration du cinéma et de la télévision au sein de groupes de communication, ainsi que les politiques d'achat de programmes des chaînes, et les conditions de leur vente, tendent déjà à faire des télévisions des vecteurs de ces produits et des gestionnaires de ces droits.
La télévision, en tant que média, apparaît en outre comme un support de produits, à travers par exemple le bartering, le sponsoring et le parrainage, le droit d'asile ou le placement de produits, ou la publicité.
Or la publicité tend à devenir interactive et à se rapprocher de la VPC, tandis qu'apparaissent de nouvelles formes de vente associant programmes, publicité, et vente directe.
De nouvelles formes de distribution se développent ainsi à la faveur des innovations techniques et de la multiplication des canaux permise par la diffusion numérique:
- Clips et disques: chaînes musicales
- Consommation: Défilés de mode et télé-achat de vêtements sur Fashion TV
- Multimédia et produits culturels: C: - Spectacle
L'image et les programmes propres des télévisions peuvent en outre se voir déclinés à travers toute une gamme de produits, intéressants en terme d'image, mais également de ressources complémentaires.
Les télévisions établissent également une offre de services à partir de leurs différents savoir-faire ou pour rentabiliser leurs infrastructures:
Au niveau des structure de production:
Au niveau des programmes: disques - vidéos - jeux - livres - cédéroms - kiosques Audiotel & Minitel
Cette activité s'organise autour de structures d'édition propres aux chaînes (et en partie de distribution dans le cas de la vente directe par internet et Minitel et des boutiques dépendant des chaînes), en association parfois avec d'autres entreprises du secteur visé (dans le cas de l'édition et de l'édition musicale notamment)
On peut noter comme particularité les diffusions en souscription auprès des abonnés (par le biais du magazine de la chaîne)
Lié à un câblo-opérateur et à un opérateur internet, Canal + développe actuellement d'une part une politique d'achat et de gestion de droits audiovisuels (en cohérence avec le développement de chaînes thématiques), et d'autre part l'association d'internet et de la télévision autour d'offres de service (CF. les accords Cegetel / Havas On Line - Canal + / AOL / Bertelsmann qui se sont traduits par l'intégration de l'offre internet autour d'AOL). La chaîne d'informations économiques du groupe réferera ainsi directement à un portail internet spécifique d'information financière.
M6 associe également son image à Fun (au sein de la CLT) pour l'édition vidéo - M6 s'ouvre en outre vers la programmation musicale en collaboration avec Fun, tandis que Fun s'ouvre vers la télévision en collaboration avec M6 (M6 Music & Fun TV).
La distribution des disques
La distribution phonographique s'appuie très largement sur la télévision, en plus de la radio, même quand elle n'en est pas directement un produit dérivé.
Il faut signaler à ce sujet le rôle de la Cogedep (Compagnie européenne de distribution et d'édition phonographique et littéraire), contrôlée par Polygram ainsi que par d'autres éditeurs, qui assure la distribution des produits en fonction de leur promotion à la télévision (comme pour la Lambada): cette société réalise 20 % du marché global de la distribution de disques, avec 100000 disques distribués par jours, pour un CA de 3,7 MM F par an
Le rôle des animateurs
Les animateurs de télévision réinvestissent les bénéfices de leur popularité et leurs compétences dans des activités d'animation extérieures (les "ménages") et dans des activités de production.
Mais si les animateurs récupèrent ainsi l'investissement des chaînes sur leur image, ils décrédibilisent aussi l'image même des chaînes (voir les conflits nés de l'utilisation de l'image des chaînes ou de leurs émissions à leur seul profit).
Les animateurs ont donc initié des politiques de produits dérivés à la télévision. Ces initiatives semblent cependant de moins en moins compatibles avec l'intégration de cet axe de développement dans la politique générale des chaînes ou des groupes de communication.
La publication
Les émissions animées par un présentateur-conteur sont régulièrement déclinées sous forme de recueils d'histoires (Bellemare, Decaux, Mitterand - voir Les Aigles foudroyés ), ou de recettes dans le cas des émissions culinaires, en association ou non avec la chaîne qui diffuse les programmes correspondants.
Mais comme les autres vedettes du show-biz, les animateurs publient aussi de nombreux ouvrages à titre personnel, suivant les canaux de production et de distribution propres à ce secteur: les éditions Carrère ont notamment développé en France le principe de l'enregistrement au magnétophone, réécrit ensuite par un journaliste, pour être diffusé essentiellement en club (de type France-Loisir) ou en supermarché.
On trouve ainsi des biographies et des autobiographies à caractère promotionnel.
Suivant l'approche de Dominique Pasquier et Sabine Chalvon-Demersay (Drôles de stars: la télévision des animateurs, Paris 1990), les animateurs tendent alors à construire une image d'individu le plus "moyen" possible, à l'opposé de tout excès. Leurs publications vont refléter cet aspect à travers de nombreux guides pratiques manifestant un point de vue 'prophylactique':
Leurs romans manifestent également un caractère volontiers édifiant:
Le besoin de gratification symbolique, qui apparaît par exemple à travers la certaine reconnaissance culturelle qui demeure attachée à la publication d'un roman, peut aussi emprunter des formes plus conflictuelles: des livres de souvenirs télévisuels peuvent présenter un point de vue polémique, voire régler des comptes (Bourges, Mamère )
L'image de proximité construite par les animateurs va donc parfois se heurter à leur besoin de reconnaissance. Cette image entre également en conflit avec la réalité de leurs salaires: la représentation de l'espace de production comme espace économique, avec des enjeux financiers importants, peut heurter la représentation qu'ils donnaient initialement d'eux-mêmes (comme des individus moyens) à travers leur rôle à l'antenne et leurs produits dérivés.
Vers des stratégies globales, ou des stratégies différentes suivant des acteurs différents ?
Alors que BBC Enterprise réalise à l'exportation 2,6 M £ de CA dès 1992, en mettant en place la commercialisation de ses produits suivant une stratégie multimédia (en offrant ses produits sur différents supports et suivant différentes déclinaisons) lors de son Showcase , la question des produits dérivés relève alors en France d'intervenants très divers (les producteurs, les éditeurs, les animateurs )
Les stratégies de développement des chaînes privées font néanmoins apparaître, à partir du milieu des années 90, une attention de plus en plus importante à ces ressources complémentaires.
De ressource supplémentaire, les produits dérivés font dorénavant partie intégrante de la politique de diversification des chaînes: leur axe de développement consiste à valoriser au maximum les droits détenus sur les programmes, à proposer leurs compétences et leurs infrastructures à l'extérieur de leurs groupes, et à compléter leur offre de programmes par des offres de services: des synergies industrielles peuvent ainsi apparaître entre les différents actionnaires des chaînes.
D'autres entreprises du secteur des médias se diversifient également en mettant en place une offre télévisuelle (radio: NRJ, Fun, Nova; presse) intégrée dans une stratégie de développement combinant des chaînes de télévision, des chaînes de radio et d'autres supports éditoriaux (total media).
Enfin, la notion de stratégies multimédias va recouper la constitution de groupes pluri-médias, regroupant autour des mêmes intérêts des médias, des producteurs de programmes, et des industriels des télécommunications.
On trouve également le terme 'special marketing', au sens de technique de promotion de produits dérivés.
Sur le sujet du Merchandising: Le Merchandising, de Armand
Dayan, Annie Troadec, Loïc Troadec, Que sais-je ?, PUF, Paris 1993.
La vente des produits dérivés s'appuyant largement sur leur distribution en grande
surface et sur leur mise en valeur dans les linéaires, les techniques du marchandisage,
en ce sens, sont néanmoins largement employées à ce moment là.
Sur le sujet des produits financiers: Les Produits dérivés, de Pierre Chabardes et François Delclaux, Gualino, Paris 1996
Sur le télé-achat comme genre: "Le Genre dans les stratégies identitaires des chaînes de télévision: l'exemple du télé-achat", Patrick Mpondo-Dicka, communication dans le cadre des journées d'études Genre et Textualité, CPST/LLA, Toulouse avril 1998
Le terme 'média 'ayant lui-même plusieurs sens, il importe de préciser l'emploi du terme 'multimédia : la notion 'd'association de médias' relève en effet d'acceptions particulières suivant les secteurs, qui peuvent précisément être mises en uvre conjointement:
On peut donc observer que le mot 'media' tend à perdre de son sens et à désigner aussi bien un diffuseur de produits audiovisuels à travers des canaux différents, que n'importe quel produit, chaque produit étant susceptible de constituer un support publicitaire pour d'autres produits (dans les limites des stratégies marketing mises en uvre).
Le poids des industries Disney correspondrait à la moitié du marché mondial, mais sa pénétration serait beaucoup plus faible en France: ces données semblent cohérentes avec d'autres indicateurs du secteur, faisant apparaître d'une part une tendance à la concentration au niveau mondial, et d'autre part une plus grande diversité du marché français (à l'inverse des marchés américains, anglais et allemands où les produits américains sont prépondérants).
La principale ressource de TF1 demeure la publicité (7 MM F), or
celle-ci ne connaît qu'une croissance très modérée (+3,5% en 1997), ce qui explique
aussi l'importance attachée au merchandising et aux activités de diversification.
Du point de vue de la communication auprès de ses actionnaires, TF1 met en avant
l'excellente rentabilité de cette activité; du point de vue de la communication auprès
des marchés financiers, TF1 met également en avant ces chiffres pour marquer son
engagement dans des secteurs considérés comme des 'relais de croissance'.
Le coût de location d'un canal numérique dépend de sa bande passante: une offre de service (météo, emploi, télé-achat ) dont les émissions sont statiques dans des décors simples, ne demande qu'une bande passante faible et permet donc la multiplication de cette offre pour un coût moindre (à l'inverse des films de cinéma dont la définition, la complexité des images et leur rythme représente une quantité d'informations élevée, moins susceptibles d'être 'compressées': le taux de compression, qui détermine la largeur de la bande passante à occuper, dépend de la richesse de l'image, en terme de définition et de fréquence, c'est à dire de renouvellement VS redondance de l'information à transmettre en un laps de temps déterminé).
La distinction entre publicité interactive et marketing en ligne correspond à une différence d'accès technique, suivant que l'on utilise la télévision (qui fonctionne alors comme un ordinateur) ou un ordinateur (qui fonctionne alors comme une télévision): L'approche de TPS relèverait du premier cas, celle de Canal + relevant plutôt du second. Ces aspects ont notamment été exposés lors du MILIA, conférence "TELEVISION et INTERNET" le 8 février 1998 à Cannes
Le décodeur numérique fait alors office de terminal numérique multimédia, permettant le paiement en ligne à partir d'une carte bancaire ou d'un compte propre à l'abonné, et permettant également soit la connexion à un micro-ordinateur (comme un modem), soit l'utilisation interactive de la télévision (sur le principe des liens hypertextes).
Le logiciel développé par Cryo Networks pour créer des univers virtuels (Scol) devrait être maintenant diffusé pour créer des galeries marchandes virtuelles, c'est à dire des catalogues de télé-achat utilisant une interface représentant un monde réel en 3 dimensions.
Paradoxalement, Cryo reproche publiquement à Canal + de faire du Deuxième Monde une simple galerie marchande alors que le projet initial et contractuel était de construire un univers de rencontres conviviales; cette position semble surtout liée à un contentieux financier, Cryo menaçant de retirer sa licence si ses exigence ne sont pas satisfaites, en mettant en avant le fait d'avoir été écarté de la conception de la dernière version du produit. La stratégie de Canal + semble être précisément de mettre en place une galerie virtuelle, en profitant certes de l'image associée au caractère décalé et libertaire du projet, mais surtout en s'assurant le contrôle de l'ensemble de la filière du marketing en ligne. L'intérêt de Cryo est de profiter du développement du Deuxième Monde pour promouvoir sa maîtrise dans la conception de galeries marchandes virtuelles: les partenaires initiaux sont donc maintenant en situation de concurrents.
La CGE devient le principal actionnaire de Havas en février 1997; cette opération d'absorbtion se poursuit en mars 1998 (constitution du groupe Vivendi). Son objectif semble être de fusionner les activités communications et télécom du groupe avec Havas et Canal + (contrôlé par Havas). Des rapprochements d'ordre commerciaux existent également entre CGE-Havas et la CLT.
Havas Interactive propose l'ensemble des articles publiés par le pôle éditorial du groupe (dont Le Point et les Echos) sur un serveur nommé Infos On Line, vers lequel Compuserve (lié à Cegetel) offre un accès privilégié (le paiement des articles est automatisé).
M6 a lancé en 1997 quatre magazines accompagnés d'une cassette vidéo. Les produits dérivés sont en effet souvent des 'produits composites', pouvant prendre la forme de magazines accompagnés d'un disque, d'un cédérom (ou même d'un "CD Extra" - cédérom intégrant des titres audio) ou d'une vidéo et distribués sous blister (emballage de plastique transparent).
Considérable, le marché des magazines sous blister représenterait près de 10% du CA des NMPP, 2 MM F en 1997
Les stations de radio ont en l'occurrence une expérience plus ancienne que les chaînes de télévision en matière de produits dérivés (notamment par la production & la distribution phonographique): NRJ Produits Dérivés génère ainsi un CA de 10 M F; CA équivalent pour Radio Nostalgie (entre 15 et 20% des bénéfices du groupe). La stagnation des ressources publicitaires de la radio explique aussi la recherche de nouvelles sources de bénéfices.
Fun TV est détenue en copropriété avec M6 (Fun et M6 sont contrôlés par la CLT); la stratégie dite "total media" de Fun est d'accompagner ses auditeurs tout au long de la journée: Fun Music system est une télévision destinée à être diffusée dans les cafés (en franchise), en partenariat avec Kronenbourg (Danone). Le dispositif prévoit que les auditeurs dotés d'une connexion à internet et d'une caméra pourront intervenir directement à l'antenne. Un magazine, Fun Mag, fait partie des autres supports prévus, que doit compléter une "politique active de merchandising".
Nova se développe notamment à travers Nova Productions (programmes audiovisuels, 1992) & Nova Prod OWL (production multimédia, 1997)
Sources générales: TF1, France Télévision, Canal Plus, CLT, la Lettre des médias, Multimédia-Hebdo, L'Expansion, Stratégies, CB News, La Tribune Desfossés, Les Echos, Le Monde, Libération, Carat, CSA.
Pour le texte et la mise en code HTML: © christophe lenoir 1998