Le télé-achat :
finalité ou usage par défaut des nouvelles convergences ?

L’intégration multimédia

 


Une version légèrement différente de ce texte a été publiée dans les Cahiers du Circav "numéro spécial multimédia", 1999.


L’intégration de la télévision, de l’ordinateur et des télécommunications est évoquée dès qu’il s’agit d’annoncer les programmes du futur et de décrire les regroupements industriels autour de l’activité de télévision. Après avoir connu des développements parallèles, les différents réseaux, de téléphonie, de transport de données et de télévision seraient donc appelés à se rejoindre.

La convergence des technologies de l’informatique et de l’électronique permet en effet de concevoir aussi bien des télévisions utilisables comme un ordinateur, à partir d’une interface élaborée, que de recevoir des programmes audiovisuels sur un ordinateur. L’application des techniques de diffusion numérique permet en outre d’utiliser les réseaux existants pour transmettre n’importe quel type de donnée.

Les chaînes généralistes ne seront peut-être alors plus que la vitrine de programmes interactifs. Cependant, les programmes ne sont peut-être eux-mêmes que le prétexte d’enjeux industriels beaucoup plus lourds, dont l’objet est d’abord le contrôle des infrastructures de télécommunication.

Indétermination technologique et détermination des usages

Malgré l’engouement manifesté par les chaînes de télévision à l’égard d’Internet, celles-ci ne semblent guère développer d’offre programme spécifique au nouveau médium. Les sites des chaînes françaises se recentrent vers des contenus existants sur d’autres supports télématiques (météo, infos, grille de programmes, courrier des téléspectateurs, téléachat) tels que le minitel ou le vidéotexte.

Deux mouvements semblent donc à l’œuvre : dans un premier temps, des innovations technologiques sont présentées comme devant promouvoir de nouveaux usages ; dans un second temps, ces fonctionnalités nouvelles s’avèrent essentiellement accroître la performance de service préexistants, en réunissant sur un même médium des procès qui relevaient au départ de démarches d’usage différentes.

Dans un troisième temps, il resterait à évaluer quels incidences ont ces évolutions sur la perception du média, et sur l’usage qui en est fait.

Ainsi s’annonce une évolution majeure de l’organisation du marché de la télévision, le rôle stratégique des distributeurs s’amenuisant, les procédés de distribution n’étant plus exclusifs (réseau câblé ou bouquet numérique) mais concurrentiels (des offres concurrentes sur un même réseau). La fonction de distribution serait dévolue aux « portails », ce qui est le sens actuel de l’évolution des sites des télévisions [1] .

A qui s'adressent les discours sur la convergence ?

Enfin, une approche prospective de l’évolution des usages ne peut manquer de prendre en compte l’aspect entrepreneurial de l’intégration : celle-ci n’est pas seulement une intégration de technologies auparavant distinctes, permettant la simultanéité d’usages auparavant séparés (comme regarder une publicité et acheter un produit). L’intégration correspond à la mise en correspondance de métiers auparavant séparés à la faveur de prises de contrôle capitalistiques.

Au-delà d’un discours convenu sur les synergies, l’intégration (en tant qu’offre commune d’un groupe sur un support commun) sert à donner une lisibilité à la stratégie d’un groupe, et constitue de ce fait un moyen de pression sur ses actionnaires et sur ses agents qui seraient tentés de s’y soustraire. La question demeure alors de savoir à qui s’adresse l’intégration, et si elle relève d’un nouvel usage des actionnariats [2] et d’une instrumentalisation des intérêts de l’ensemble des acteurs d’un groupe économique. La curiosité des consommateurs pour les technologie nouvelles et la tendance structurelle de l’ingénierie à les promouvoir seraient conjointement utilisées au profit de processus relevant du pouvoir d’une entreprise et des jeux de pouvoir au sein d’une entreprise.

Si l’on retient que le principal usage de l’intégration de nouvelles technologie audiovisuelles se fait dans le sens de la promotion (ce qui est aussi le fait structurel de la diffusion sociale de toute nouvelles technologies : promouvoir ceux qui ont su acquérir un monopole sur leur maîtrise), il importe de distinguer sur quels espaces sociaux s’exercent ces transformations.

De ce point de vue, l'instrumentalisation des discours sur le multimédia relève d'un double objectif : en tant que « arcane », elle s’adresse essentiellement à des partenaires économiques. Relevant d’un domaine prometteur mais dont les retombées économiques sont encore difficilement évaluable, cette notion accrédite des bénéfices à venir et justifie l’emploie de capitaux et la valorisation de titres dans des domaines non bénéficiaires (la valeur présente de ces sociétés repose seulement sur la croyance des actionnaires en leur valeur à venir).

Les stratégies industrielles mises en œuvre n’ont donc pas à être interrogées ou contestées, puisqu’elles relèvent d’une prophétie faite par ceux qui possèdent la compétence requise, et qui n’ont pas à la justifier. L’absence de lisibilité de ces stratégies renverrait uniquement à l’incompétence de ceux qui ne savent pas les lire.

En tant que « utopie », le développement multimédia promet un mieux-être social : son intérêt pour le consommateur ne saurait donc être contesté non plus [3] .

 

Or, la seule utilité manifeste des médias interactifs est de proposer une offre de vente en même tant qu’une offre de programmes.

Le rapport entre les producteurs, les diffuseurs et ceux qui financent les contenus télévisés (les téléspectateur, par contribution publique – redevance et fiscalité – volontaire – abonnement, paiement à la demande, télé-achat et achat de produits dérivés – ou indirecte – financement par le biais d’annonceurs attendant un retour sur leur investissement) peut être totalement remis en cause, soit au profit des uns, soit au profit des autres. Les enjeux de l’intégration multimédia tiennent donc principalement à un nouveau rapport entre producteur et usager.

Evolution des positions stratégiques

Alors que la diffusion hertzienne des chaînes de télévision passait par un opérateur unique (comme TDF), dont les modalités d’accès au réseau étaient intégrés systématiquement dans les récepteurs (sélection des canaux et des chaînes), favorisant une logique d’édition (les chaînes) les modes de diffusion numérique impliquent d’utiliser un moyen de réception spécifique, contrôlé par un distributeur.

Cette redistribution des rôles entre éditeur et distributeur entraîne de nombreux changements dans les rapports entre usagers et éditeurs.

D’une part, s’il existe un marché de la distribution (il y a concurrence entre les différents opérateurs), il n’y a guère de concurrence en terme d’édition (les chaînes pouvant êtres exclusives suivant les bouquets). Le rapport de force est lui-même totalement défavorable à d’éventuels éditeurs indépendants (qui n’auraient pas de lien avec un distributeur).

Cette position d’exclusivité est cependant amenée à évoluer rapidement, à travers des modes de diffusion permettant un choix précis des programmes attendus (à l’inverse des bouquets).

Dans cette éventualité, ce seront les portails (qu’elle que soit la forme finales de ces « guides numériques  [4] ») et non plus les distributeurs qui disposeront d’un rôle stratégique, en captant et en redistribuant les publics.

Si l’accès au programmes devient indépendant d’un distributeur (réduit à un rôle technique), la constitution d’entités éditoriales autour de logiques de distribution n’aura plus de raison d’être (les chaînes thématiques se sont ainsi développées pour justifier l’abonnement à l’opérateur qui les contrôlait).

La chaîne d’accès aux programmes peut se décomposer ainsi :

auteur < producteur < éditeur < distributeur | portail > spectateur

Or, rien ne garantit à terme, après la disparition des distributeurs, que les éditeurs, voire les producteurs, conservent un rôle, ces médiateurs n’étant que les survivances d’anciens monopoles ou d’une ancienne organisation économique de la production d’œuvre (on peut imaginer dans le cas le plus extrême que les moyens interactifs permettent aux spectateurs de pré-acheter un programme avant sa réalisation).

Cette évolution entraîne également l’apparition d’un espace de compensation où sera réaffirmé le caractère socialement indispensable de ces médiateurs en s’opposant à la notion de marché (Cf. les polémiques sur la convergence), alors que ceux-ci ne procèdent, initialement, que de contraintes casuelles et purement économiques.

Les événements comme la fusion Aol – Time Warner illustrent le nouveau caractère prépondérant du contrôle des portails, que ce soit par l’exclusivité d’un protocole technique ou simplement par notoriété (« communautés virtuelles » captant et redistribuant des publics en fonction d’un point d’intérêt éditorial).

Usages industriels de l’interactivité

L’interactivité présente-t-elle réellement un intérêt en matière de programme, ou bien n’est-elle qu’un prétexte à la mise en place de nouvelles infrastructures et à la modification des réglementation et des systèmes d’aide publique ?

L’industrie des programmes, activité créatrice, est symboliquement plus gratifiante et plus valorisée qu’une autre entreprise industrielle, ce qui explique qu’elle soit mise en avant. L’application de l’interactivité qui connaît le plus grand essor relève pourtant de la promotion mercantile, à travers les différentes modalités du télé-achat, rebaptisé « commerce électronique ».

Il peut s’agir d’un choix par défaut, dû à des déterminations économiques (la rentabilité d’un programme) et stratégiques (proposer une offre numérique et développer des programmes interactifs) propres au secteur. A moins que le télé-achat ne soit l’essence même de la télévision et des nouveaux médias, la finalité et la fin de toutes ses innovations…

Quelles sont alors les implications du développement de la télévision comme espace de proposition commerciale sur l’identité des chaînes ? Cette identité est analysable comme la construction d’un énonciateur unique, prenant en charge des énoncés multiples provenant de différents locuteurs [5] . L’interactivité peut alors faire basculer la télévision d’un espace d’offre de produits culturels, plus ou moins adressés directement au spectateur et plus ou moins identifiés à une chaîne, à un espace d’achat qui ne serait plus que la vitrine économique des groupes auxquelles les télévision appartiennent (et les programmes le « plus produit » dans une offre globale de télécommunications).

Déterminations technologiques

La qualité des services offerts par les autoroutes de l’information tiendra à leur interactivité, et donc au cheminement personnalisé de l’information, et sera tributaire de leur débit.

Or, les transactions commerciales à partir d’un choix de produits peuvent soient se contenter d’une interactivité faible (valider un choix), soit se contenter d’un débit faible (n’afficher que des images, voire des textes ou un enregistrement vocal pour les services par téléphone), soit se contenter d’une ‘personnalisation’ faible [6] .

Le télé-achat peut donc à la fois tirer un profit particulier de chacune de ces contraintes et s’adapter à chacune d’elles.

La commande elle-même peut être simultanée ou passer par d’autres canaux, ce qui est un point important du point de vue de la prise en compte des usages (la réticence au paiement en ligne) et de l’adaptation de l’offre (l’intégration des systèmes de paiement sécurisés). Les réseaux de télédiffusion n’étant pas tous bidirectionnels, l’interactivité peut supposer l’utilisation d’une ligne téléphonique. Les offres peuvent également compléter des systèmes de vente plus classiques (magasins, démarchages ou catalogues).

La disponibilité de la consultation est également un facteur d’usage important : se fait-elle à la demande, est-elle prévisible (comme une émission de télé-achat) ou imprévisible (sur le mode du mailing, du télé-marketing ou de la vente à domicile). Toutes les démarches marketing sont également possibles (ciblage large ou segmenté en fonctions d’informations recueillies).

Ces éléments peuvent déjà permettre de spécifier les contraintes, les limites techniques et les aspects innovants des différentes formes de télé-achat. Certaines formes relèvent encore d’une phase expérimentale ou prospective ; leur extension dépend des évolutions casuelles de l’ingénierie et de la volonté des chaînes et de leurs régies.

En terme d’innovation, les nouvelles offres de télé-achat relèvent donc simplement de l’intégration de la télématique et de la télévision : couplé à une modem (ou à une voie de retour quelconque), le décodeur numérique permet de transmettre directement un certain nombre de choix subsidiaires à partir des éléments apparaissant à l’écran. Ce principe se substitue aux invitations à écrire, téléphoner, ou utiliser un autre système de commande.

L’évolution n’a donc rien d’une rupture ni à ce titre d’une innovation : la télévision utilise les processus d’interactivité qui suivent les disponibilité techniques (invitation à venir, à écrire, à téléphoner, à utiliser un minitel, un service audiotel, internet, et maintenant à sélectionner directement les éléments sur l’écran du téléviseur). Le fait d’utiliser conjointement les qualités complémentaires des réseaux de téléphonie et de télédiffusion (la bi-directionnalité de la connexion et le débit) a néanmoins permis de préfigurer ce que pourront être des réseaux intégrés.

Le seul critère stratégique qui semble différencier sur ces points les offres numériques en présence tient à la conception du décodeur couplé au récepteur de télévision ou à un ordinateur [7]  : la présentation régulière de nouvelles innovations correspond, pour les différents opérateurs, à l’espoir d’imposer leur propre terminal multimédia (dans l’espoir de conserver un rôle de distributeur exclusif), permettant l’utilisation interactive de la télévision et les paiements en ligne (de façon à éviter au maximum au consommateur de devoir différer l’acte de paiement) [8] .

Economie marchande et économie du discours

L’innovation du télé-achat est d’avoir fait de la proposition marchande un genre télévisuel, au sens où une activité sociales donne naissance à un secteur particulier de l’audiovisuel [9] .

Sa particularité, aussi bien économique que textuelle, est en effet d’assurer sa rentabilité par un procès de vente manifeste et direct, tandis que la publicité assure la rentabilité d’un programme par un procès de vente indirect, dont la manifestation ne passera que par des méta-discours ou des discours d’accompagnement [10] .

Dans le cas de la publicité, la transaction est en effet occulte, même si la forme est explicite (et plus ou moins codifiée légalement et ritualisée) : les modalités de la vente d’un public à un annonceur demeurent opaques et peu manifestes [11] .

Importance économique du télé-achat

Le commerce électronique est extrêmement évolutif : situer ses contraintes semble plus utile que préciser son poids économique exact, secondaire par rapport au enjeux discursifs recoupant les enjeux stratégiques dans lesquels il s’insère [12] .

La facilité d’accès au données financières concernant ce secteur (du moins celles qui sont présentées – et donc instrumentalisées –  suivant les desseins précités), et leur évolutivité, paraît rendre assez caduque toute initiative d’en dresser la hiérarchie.

On peut néanmoins remarquer que pour les télévision françaises, les activités de diversification représentent une ressource considérable [13]  : alors que les ressources de la publicité demeurent stables ou ne connaissent qu’une croissance modérée (et semblent appeler à diminuer de part la volonté politique dans le cas des chaînes publiques) [14] , l’apport du télé-achat sous ces différentes formes, des produits dérivés, et des activités de diversification exploitant les vecteurs numériques devient le principal facteur de croissance (ce qui explique aussi que ces secteurs soient particulièrement valorisés, indépendamment de leur impact économique) [15] .

Or, la publicité tend à devenir interactive et à se rapprocher formellement de la VPC, tandis qu’apparaissent de nouvelles formes de vente associant programmes, publicité, et vente directe, à la faveur des innovations technologiques et de la multiplication de canaux permise par la diffusion numérique [16] .

Le télé-achat peut donc pour les télévisions se développer suivant trois axes principaux sur les réseaux numériques :

·        Par la publicité interactive, avec un accès en ligne à des catalogues ou à des propositions de vente, à travers des espaces interactifs (CF. les nombreux articles consacrés aux expériences menées sur TPS et Canal satellite depuis 1997).

·        Par le marketing en ligne (achat par internet) [17]  : les chaînes s’associent à des prestataires d’accès et peuvent également proposer des offres conjointes pour un accès internet. Ces offres pourront à terme, suivant l’évolution des réglementations et du marché, intégrer téléphonie, télévision et internet. La publicité apparaît également au sein de programmes multimédias, qui peuvent intégrer une offre de commerce électronique.

·        Par l’association d’une thématique à de la vente directe (la vente directe pouvant devenir elle-même une thématique). Les chaînes musicales peuvent ainsi s’associer à la promotion et la distribution de disques (M6 et NRJ, au sein de la CLT, ont ainsi développés à la fois des chaînes spécialisées et une activité de vente de produits musicaux). D’autres expériences associent défilés de mode et télé-achat de vêtements (Fashion TV) ou multimédia et produits culturels.

Si la télévision permet donc le télé-achat d’activités culturelles extérieures au média (réservation de spectacles, téléchargement de jeux vidéos) [18] , elle permet également le télé-achat de programmes personnalisés, suivant le principe du pay-per-view.

Le multimédia comme offre marketing

Si au sens technique, multimédia désigne l'association de l'informatique et de la vidéo, au sens industriel, multimédia désigne l'association de moyens industriels relevant des télécommunications, de la télévision, de l'industrie des programmes, et des appareils de réception. De tels groupes industriels contrôlent la totalité de la chaîne de production (leur structure capitalistique pourra être néanmoins très variable (holding, groupement d'intérêts, participations croisées, filiales communes…) ; or, c’est l’association de ces technologies qui permet d’imposer un type de terminal ou de portail, et donc de privilégier des offres internes face aux offres concurrentes.

Au sens commercial, multimédia va désigner des stratégies de vente et de promotion associant un même produit à plusieurs supports; cette notion va donc recouper celles de 'tie-in' ou de vente croisée : un même concept est décliné au travers de plusieurs produits, audiovisuels ou non, ou une marque cherche à s'assurer une visibilité et une notoriété maximum en s'associant à des médias, des produits, des services, ou à d'autres marques qui ne relèvent pas de son activité principale, ou va s'associer à des offres conjointes.

La stratégie technique et commerciale des entreprises audiovisuelles pourra prendre la forme d'une ambition de type 'total media', visant à mettre en place une offre commune susceptible d'atteindre le consommateur à travers des canaux différents suivant sa disponibilité (par exemple chaîne généraliste + chaînes thématiques + radio + presse + édition + disque + production et distribution cinéma et vidéo, + internet et services en ligne), et permettant de rentabiliser par la vente de produits l’effort éditorial fournit (le ciblage pourra être particulièrement précis, à la fois par segmentation de l’offre et contrôle électronique de l’usage).

La déclinaison de chaînes sous-thématiques (canaux complémentaires de la marque d’une chaînes, découpés en fonction de centres d’attraits ou de la segmentation de la cible) s’inscrit précisément dans cette stratégie [19] .

Incidences de l’achat de programmes à la demande

Le télé-achat peut donc faire évoluer la télévision vers une logique de promotion d’une production multisupport, ce qui permet aux chaînes de valoriser au maximum leurs catalogues ou les programmes sur lesquelles elles détiennent des droits en les vendant à l’unité, comme des produits (pay-per-view, cassettes, cédéroms…) L’interactivité permet alors non seulement la promotion des produits, mais leur vente immédiate (et donc le contrôle de la distribution). D’une identité de chaîne, construite comme un énonciateur adressant des programmes (néo-télévision) on s’acheminerait vers une identité de réseau, combinant sous une même marque la production et la distribution de ses produits. Cette évolution rejoint explicitement le regroupement d’entreprises de communication avec des industries de programmes.

 

Le principe d’un ‘télé-achat’ forfaitaire des programmes par le téléspectateur, par le biais de la publicité, ou de son achat forfaitaire par abonnement ou par contribution parafiscale serait ainsi remis en cause. Le principe de l’achat forfaitaire des programmes par les chaînes par le biais d’obligations réglementaires (réinvestissement obligatoire dans la production) ou d’accords contractuels (diffusion d’événements sportifs) pourrait alors également s’avérer caduc.

En effet, l’extension du principe du télé-achat à l’offre de programmes peut entraîner l’apparition d’une offre concurrente qui ne dépendrait pas des chaînes (les distributeurs) mais d’un regroupement des producteurs : les clubs de football anglais ont pu ainsi envisager de prendre directement en charge la retransmission de leurs rencontres (en paiement à la demande) pour court-circuiter les réseaux de distribution. Peut-on imaginer un développement semblable pour le cinéma, les producteurs présentant directement leurs films en pay-per-view, compensant le caractère factice des obligations de production des chaînes [20]  ?

L’éventuelle autonomisation des producteurs d’événements cinématographiques ou sportifs au sein du champ télévisuel dépendra des contraintes et des pressions économiques réciproques. Elle serait néanmoins le pendant logique de la prise en charge de la production par les distributeurs, qui menace à terme l’autonomie des producteurs.

Une chaîne a plus de moyens d’intervenir sur le contenu d’un produit si elle en contrôle totalement la production (et si la totalité de la chaîne de production et de retour sur l’investissement est intégrée). On peut donc se demander si les films de cinéma n’étaient pas des produits par défaut, en attendant la mise en place de structures de production qui permettent de proposer des fictions télévisuelles (et non plus télévisées) propres ; ainsi le placement de produits ou le droit d’asile (produits présentés dans le programmes sans qu’ils soient explicitement nommés comme finançant le programme) pourrait redevenir explicite et ouvrir vers des galeries marchandes virtuelles… Sur le même point de vue, le sport télévisé pourrait-il être remplacé par un télé-foot filmé en studio avec des spectateurs sélectionnés par la chaîne ? Les clubs sont en effet de plus en plus exigeants en matière de droits de retransmission, tandis que la gestion capitalistique des clubs les coupe de toute la tradition du « supportérisme », qui les légitime mais qui demeure peu présentable [21] .

La publicité pourrait-elle être envisagée également comme une source de financement par défaut, à laquelle pourrait se substituer le télé-achat ? Les objets présentés pourraient être alors remplacés par les produits dérivés des chaînes. Peut-on imaginer qu’un jour la publicité, qui a par ailleurs acquit une certaine autonomie comme champ culturel légitime, ne soit plus accessible qu’à la demande ou sur un canal thématique [22]  ?

On peut donc se demander si la télévision généraliste, en devenant une vitrine d’offres multimédias pour ne plus présenter que des programmes promotionnels [23] , ne va pas rejeter tous les produits non spécifiquement télévisuels de ses grilles : ceux-ci ne seraient plus disponibles que suivant les modalités du télé-achat.

 

Or, la télévision doit sa légitimité au fait de rendre compte d’événements réels. La télévision devient pourtant co-productrice de l’information, au même titre qu’elle co-produit la fiction ou le sport, en produisant l’événement à travers des reality-shows, des débats, des talk-shows. Elle produit même entièrement l’événement dans le cas de certains magazines d’actualité, en présentant des faux reportages (parfois sanctionnés par la justice). Les agents de la télévision eux-mêmes se retrouvent dans la position paradoxale de revendiquer un statut journalistique alors qu’ils font essentiellement la promotion des produits de leur chaîne (CF. les polémiques entre les journalistes sportifs des chaînes de télévision par rapport à la prise de contrôle de clubs par les chaînes concurrentes) [24] .

Un produit, pour être attrayant, doit il conserver une valeur objective comme objet du monde réel, ou peut-il être réduit à une valeur purement symbolique ? La promotion du télé-paiement des programmes et du télé-commmerce débouchera-t-il sur un univers d’échanges purement virtuels ou ne s’agit-il que de l’association casuelle de moyens initialement séparé et réunis par rationalisation économique ?

La transformation des modalités économique de la télévision a entraîné un changement de ses modalités textuelles (de la paléo à la néo télévision) [25] avec la substitution d’un paiement indirect pris en charge par des annonceurs à une subvention initiale de l’Etat et la figuration d’une forme d’interactivité. Si les animateurs ne sont plus que des vendeurs, chargés de convaincre les spectateurs des bénéfices symboliques des produits qu’elle propose, qu’il sera possible d’acquérir à partir de sa télécommande, on s’achemine peut-être vers une post-télévision.

 



[1] Accents mis sur l’évolution du secteur à travers des extraits de dépêches économiques :

Le site tf1.fr avec près de 13 millions de pages vues en février 2000, poursuit sa progression.

Après avoir lancé le site thématique "TF1 Les News" en décembre, puis début février le site jeunesse "Tfou", TF1 va investir environ 150 millions de F cette année et souhaite se positionner comme l'un des premiers portails Internet en France. D'autres sites spécialisés (femmes, sports, finances ...) verront le jour en 2000.

Le portail sportif http://www.eurosport.com, lancé en version anglaise, s'est développé très rapidement. Il sera décliné d'ici à la fin 2000 dans les principales langues européennes.

Christine Weissrock - Atelier Paribas 01/03/2000

Les différents sites du groupe M6 ont accueilli en mars près d'un million de visiteurs. Le groupe s'affirme donc comme l'un des acteurs majeurs d'Internet. Au second semestre, M6 lancera une nouvelle marque regroupant un fournisseur d'accès à Internet et des portails de loisirs. En 1999, M6 a pris le contrôle de FUN TV, du Club des Girondins de Bordeaux et filialisé ses activités Internet à travers la création de M6 Web. (Paribas)

Le groupe audiovisuel M6 va devenir cette année fournisseur d'accès sur l'internet et ouvrir un "portail loisir", a annoncé mardi son président, Jean Drucker. "On prend le grand virage internet", a-t-il indiqué lors d'une réunion d'analystes financiers, en précisant que le web allait être le "quatrième métier" du groupe après la télévision gratuite, le développement de sa marque et la télévision payante. Filiale de Suez Lyonnaise (35,5%) et du groupe germano-luxembourgeois CLT-UFA (41,8%), M6 lancera au second semestre la marque M6net.fr et y investira 100 millions de F en 2000. Ce développement se fera à travers sa filiale internet M6 Web, créée l'an dernier et détenue à 100%. Le budget de cette filiale pour 2000, hors acquisitions, est de 70 MF et ses effectifs, actuellement de 20 personnes, seront portés à 90 salariés d'ici la fin de l'année. Pour monter en puissance sur le web, M6 compte sur plusieurs atouts: une marque bien établie, la deuxième position de la chaîne chez les moins de 50 ans et sa place de deuxième média français en publicité. Le groupe prévoit également de nouer des partenariats, de procéder à des acquisitions et de prendre des participations à d'autres start-up. "Nous allons contruire une économie web", a affirmé Nicolas de Tavernost, directeur général du groupe. Le portail loisir, qui sera accessible à haut débit en 2001, déclinera les thématiques de la chaîne: info, musique, économie avec l'émission Capital, automobile, femmes, "Kids", cinéma, football avec les Girondins de Bordeaux. M6 a réalisé 3 millions de F de recettes liées à l'internet en 99 et son site a enregistré 400.000 visites en février. (AFP 28 mars 2000).

[2] On peut souligner le caractère assez irrationnel des réactions des marchés aux propositions de développement sur internet :

C'est totalement irrationnel. Au début, je croyais que les investisseurs étaient des gens très rationnels. Mais pas du tout, ils le sont moins que les artistes ou les saltimbanques. Ils sont influençables, immatures, tout ce que vous voulez. C'est du panurgisme. Entretien de Christian Blachas (fondateur de Stratégies et CB News) au journal du Net
http://www.journaldunet.com/it_blachas.shtml le 17 février 2000

 

[3] Il l’est néanmoins par l’ensemble des « médiateurs » de la chaîne de production dont l’utilité est alors niée (CF. D. Wolton)

[4] Plusieurs offres techniques prétendent à ce rôle, telles que les « set-up boxes ». Dans l’hypothèse d’une convergence télévision – internet, l’enjeu est de contrôler les « portails » qui rempliront cet office.

[5] L’enonciateur est entendu ici comme l’entité à l’origine de l’énoncé (énonciateur abstrait ou textuel), et le locuteur comme celui qui l’énonce.

[6] « Personnalisation » est entendu au sens de la personnalisation de la connexion : de un vers tous (télédiffusion), de peu vers tous (minitel) ou de tous vers tous (internet).

[7] Canal + va t introduire dès la fin 2000 une nouvelle génération de terminaux, la "'net-top box" , dotée d'un modem à haute vitesse, d'une capacité graphique et d'une puissance de calcul augmentées, d'une mémoire étendue, de connexions aux périphériques du monde PC, vidéo et audio, permettant de combiner sur le même écran la télévision haute qualité, l'interactivité de la télévision numérique et les services d'Internet. Au 31 décembre 1999, Canal + comptait 13,6 millions d'abonnés à ses différents offres payantes, soit une progression de 17 % par rapport à 1998, dont 4 millions en numérique (+ 58 %). (Paribas).

[8] Canal Plus a ainsi ciblé les utilisateurs passionnés par l’informatique, à travers par exemple C : et les offres associées.

[9] CF. François Jost, La Promesse des genres Réseaux 81 1994

[10] CF. Chantal Duchet Publicité et cinéma dans Le Cinéma & l’argent ouvrage collectif sous la direction de Laurent Creton, Nathan, Paris 2000 & Le Statut de la publicité et la multiplication des chaînes Communication 51 1990

[11] Des formes d’abonnement gratuit à internet ou d’achat de terminaux peuvent cependant impliquer du consommateur l’engagement (ou l’obligation) de regarder ou de recevoir des publicités : suivant notre distinction, il s’agirait plutôt d’une forme de télé-achat, que l’on peut voir également, d’une autre façon, dans des offres de téléphonie (un produit gratuit contre un engagement de souscription ou de captation, donc de disponibilité particulière à une offre).

[12] Pour des données en temps réel, voir par exemple le journal du net ou le journal informatique : http://www.journalinformatique.com et http://www.journaldunet.com 

[13] Par exemple pour TF1 en 1999 :

TF1 Vidéo connaît une année record en dépassant pour la première fois les 10 millions de cassettes vendues. Son chiffre d'affaires s'élève à 705 millions de F (+ 25 %).

Une Musique génère un résultat net de 18 millions de F, en progression de 57 % grâce au succès de ses productions.

Téléshopping réalise un chiffre d'affaires de 503 millions de F, en hausse de 21 %. Le résultat net s'établit à 21 millions de F (+ 62 %). Les activités de commerce électronique (http://www.teleshopping.fr) poursuivent leur progression et sont, d'ores et déjà, à l'équilibre. (Paribas).

Les activités de diversification représentaient déjà une ressource considérable: 2261 MF en 1996 (+26%), 2400 en 1997, soit ¼ du CA (+ 24,5% au 3e trimestre 97). Ces activités comprennent les chaînes thématiques et le télé-achat. L'apport du pôle Edition/Distribution était alors de 1 MM F, dont 350 M F pour le télé-achat

 

[14] Si la contribution relative de la publicité tend à diminuer, les tarifs des chaînes peuvent sembler pour l’instant plutôt augmenter ; l’éparpillement du marché tend en effet, corrélativement, à renforcer le poids des éditeurs et des programmes les plus généralistes.

[15] L’impact économique des sociétés spécialisées est cependant considérable : voir par exemple le site de Home Shopping Service : http://www/hss.fr ou la croissance de M6 Interactions (CA M6 Interactions 98 : 442 MF ; 97 : 417 MF). Le rapport investissement / bénéfice est en effet remarquable.

Si a publicité demeure la principale source de revenus de M6 (2,880 milliards de F de CA en 1999, + 18,1 %) les autres activités représentent une ressource de plus en plus essentielle, progressant de 23,1 % à 1,242 milliard de F (hors TPS) en 1999. Les activités du disque, de l'édition presse, vidéo et du commerce à distance se développement rapidement, profitant du positionnement fort de la chaîne, et représentent près de 30 % de l'activité du groupe (Paribas).

[16] Une offre de services ne demande qu’une bande passante faible (débit), le taux de compression dépendant de la richesse de l’image en terme de définition et de fréquence, c’est à dire de renouvellement VS redondance de l’information à transmettre en un laps de temps déterminé.

[17] Les chaînes peuvent ainsi s’associer à la vente de tous types de services. M6, dans la logique d’une association clips / disques / spectacle, a aquis en mars 2000 33 % de Ticketnet, un opérateur de billetterie en ligne. A travers sa filiale M6 Web, M6 vient d'acquérir 33 % du capital de Ticketnet via une holding qui en contrôle 66 %. Ticketnet, premier opérateur européen de billetterie de spectacles, compte parmi ses actionnaires le producteur de spectacles Horode (33 %) Auchan et Virgin (34 % ensemble) (Paribas).

[18] En dehors de la vente de services (ou de programmes téléchargeables ou de produits « télé-distibuables » : informatique, vidéo, musique), les contraintes logistiques sont en effet les mêmes que pour la VPC ; ce sont bien ces secteurs qui semblent au cœur des enjeux réglementaires, économiques (contrôle des droits de diffusion) et technologiques.

[19] Par exemple pour Discovery (Etats-Unis): Home & Leisure, Science Channel, Civilisation, Kids, Wings, Health.

[20] Cf. la directive Télévision Sans Frontières.

[21] On peut aussi considérer que le sport sert aux télévisions à mettre en avant leur capacité à s’approprier des droits exclusifs, et donc à rendre visible leurs stratégies de marché.

[22] Le CSA a donné son agrément à une chaîne ne diffusant que dans des bandes annonces et proposant aux autres éditeurs d’en reprendre gracieusement des « modules » pré-montés :

Ciné Info conventionnée (05/01/2000) Lettre du CSA n° 125

La chaîne thématique Ciné Info a signé une convention en vue de sa distribution sur le câble. Editée par la société Films Distribution, cette nouvelle chaîne a pour ambition de se consacrer exclusivement à la promotion du cinéma en proposant un programme élaboré autour de bandes-annonces présentées sous forme de modules thématiques de dix minutes. Diffusée en clair, dans un premier temps sur Astra, puis sur Eutelsat, Ciné Info sera proposée gratuitement aux câblo-opérateurs.

[23] Voir aussi la présentation des « tubes de l’été » dans les JT de TF1 sans qu’il soit signalé que ces musiques sont produites par une filiale.

[24] CF. Le sujet de l’énonciation télévisuelle en question, mémoire de DEA sous la direction de M. R. Odin et Mme C. Duchet, Ircav, université Paris III 1998.

[25] CF Francisco Casetti & Roger Odin, De La Paléo à la Néo Télévision Communication 51 1990

 


Pour le texte et la mise en code HTML: © christophe lenoir 2001

Autres textes


Retour